Nous prêchons l’égalité, nous voulons gommer les injustices, nous nous révoltons contre le malheur et pourtant au sein même de nos familles, de notre société, nous avons fait le choix de couper les liens avec ceux de qui, par qui nous pourrions apprendre et à qui nous devons d’être là où nous sommes.
Voici un extrait du chapitre consacré à nos anciens dans « Quand la terre tourne carré » – 2013 – Thebookedition.com
Magy Craf
« (…)
Oserions- nous évoquer l’acte le plus vil de cette époque moderne. La « damnatio memoriae » envers les anciens de cette société aseptisée, jeune, rapide, bruyante, consommatrice, faussement moralisatrice pour se donner bonne conscience.Ce qui est vieux est laid, périmé, décadent, inutile et doit impérativement être mis à l’écart. En définitive, ce n’est pas tant l’individu-ancien qui dérange mais ce qu’il représente. Il est le reflet de notre propre vieillissement, de notre propre mort. Il est l’envers de la médaille que nous portons. Il est le démon du nouveau culte.
La mort ne serait-elle pas la grande affaire de la vie de l’individu-adulte. Au point que ses angoisses se sont répercutées sur sa progéniture. Notre jeunesse décide en trop grand nombre de mettre un terme à son existence. Les épreuves seraient-elles plus dures, plus implacables qu’autrefois ? Certes non. Qu’avons-nous perdu qui ne nous permet plus d’affronter le difficile, de canaliser nos peurs, de trouver un refuge pour nos angoisses, de continuer à avancer cahin-caha mais avancer malgré tout. Parce que la mort a toujours été là, inéluctable, incontournable, n’épargnant personne.
Ne mettons personne à l’écart. Chacun de nous est une richesse, un messager. Et parce que la communauté des vivants garde une marque, toujours, même petite.
Malgré les avancées de la médecine et les crèmes en tous genres, le nouveau culte n’a pas tranquillisé l’âme de l’individu devant la mort car « l’éternelle » jeunesse n’est pas une garantie d’immortalité. Et oui, les Empires aiment se croire immortels mais il en est des sociétés humaines comme des humains eux-mêmes.
Cependant, sous les assauts de la médecine, la mort démystifiée est vécue comme une rupture de plus en plus insupportable. En oubliant ses anciens, sa culture et ses rites face à la mort, l’individu ne la considère plus comme une entité. On ne parle plus que de ses causes. On ne meurt plus « de la mort » mais du cancer, de la mucoviscidose, … Il y a autant de causes que d’individus. Donc, l’individu-produit est même parvenu à privatiser sa mort, à en faire un combat individuel et la société à mettre l’industrie biomédicale à la disposition de tous.
Un terminus bien paradoxal avec le scénario de droit au bonheur, de jouissance illimitée de nos sociétés hypermodernes. Cette rupture avec la génération des anciens empêche le transfert d’un autre genre d’amour, de tendresse, de mémoire, de mémoire de l’âme. Les individus-anciens qui ont des choses à dire seront muselés, ceux qui ont des choses à transmettre seront amputés.
Si l’individu ne change pas sa relation au monde, il n’apprendra pas son nom. Il vivra dans la solitude. Une solitude non désirée.
Y a-t-il du bon sens à tout jeter pour mieux chiner ? Il nous faudrait revivre la quête de GILGAMESH ou relire son histoire pour mieux comprendre les riches enseignements et vérités qui y figurent. C’est un parcours initiatique par lequel Gilgamesh gagne en force, en compréhension et en sagesse. Il comprend que le seul moyen d’accéder à l’immortalité est de transmettre son souvenir aux générations futures. Il est plus que temps de renouer en profondeur les liens entre générations qui comprennent la transmission de valeurs de qualité telles : le respect de soi et de celui des autres, de ce qui nous entoure, de l’amour de soi et donc des autres et donc l’annulation de l’égocentrisme exacerbé qui engendre une sécheresse de l’âme faisant de l’individu une créature vide dans une société aride.
C’est un rétablissement de longue durée. Rien ne réclame autant de sueur et de larmes que le changement des mentalités. Plongés dans ses convictions obscures l’individu est aveugle à la lumière de la de sagesse qui l’appelle. Il tente pourtant de s’en approcher en bâtissant des immeubles de plus en plus hauts. Mais seul son corps gravit les étages. Son âme se noircit et se perd à chaque niveau. Pour chaque étincelle, un homme-cage est fait prisonnier dans les nouvelles villes souterraines. Pour chaque nouvel ange, il y a un nouveau rat d’égout.
Son obscurité mentale l’entraîne vers l’obscurité réelle. L’individu finira par faire de la lumière du soleil un produit à vendre. Un produit cher à payer. Quel en sera le prix ? Son âme, que l’individu a déjà offerte en offrande sur l’autel des aberrations. Il est temps que l’individu-produit redevienne un individu à part entière. Un être humain unique avec toutes ses spécificités. Que cet Homme soit en constant éveil et qu’il considère la vie comme la plus noble des conquêtes. Qu’il se définisse par l’autodiscipline, la volonté, la détermination, le choix, l’autonomie de pensée, la responsabilité. Qu’il soit à même de pouvoir se respecter afin d’avoir du respect pour son prochain. Qu’il réalise que les actes négatifs vécus et posés au sein d’un groupe, d’une famille sont les mêmes que ceux vécus et réalisés à l’échelle de la société, des pays, du monde. Nous ne sommes pas les anges bien-pensants que nous prétendons être. Seule une poignée se démène avec l’énergie positive comme une goutte dans l’océan. Recueillons cette goutte avant qu’elle n’éclate et n’ait pu délivrer son message.(…) »
Votre commentaire